Jardin du Souvenir…

 

Mon arrière-grand-mère avait choisi : à sa mort, elle serait incinérée, et ses cendres éparpillées au Jardin du Souvenir… ça fera cinq ans le 2 janvier qu’elle y est. Cependant, là bas, c’est bizarre… Tout le monde mélangé ainsi… Je me la joue comme Lucien et son Dialogue des Morts, et je me fais toute petite souris, pour espionner ce qui se passe, en cette Nuit de passage, au Jardin du Souvenir, et je me tais… Parole aux morts !

 

« Hé, fais gaffe, c’est mon pied, ça !

− Ah ? Je croyais que c’était le mien.

− Mais non, tu sais bien qu’on a été dispersé au même endroit, et qu’à cause de ça on se mélange sans arrêt !

− Mais… C’est Picasso, ici ! Regarde ta tête !

− Et comment veux-tu que je la regarde ? Il n’y a qu’un œil et ce n’est même pas le mien !

− Qu’est-ce que tu fais avec mon pied dans tes cheveux, toi ? Rends-le moi immédiatement ! Non mais ! Ce n’est pas parce que tu es arrivé ici il y a très longtemps que ça te donne le droit de jouer ainsi avec nos corps !

− Aaa aaa aaa tchoum !

− Ah, c’est à cause du nouveau, ça ! Il a été dispersé aujourd’hui, et il se croit malin en faisant éternuer tout le monde !

− Non, ce n’est pas le nouveau, c’est mon petit-neveu qui est venu me porter des fleurs. Décidément il n’arrivera jamais à arrêter la clope !

− Aaaah, tout s’explique, alors !

− Quoi ?

− Eh bien regarde : j’ai un mégot à la place d’un orteil.

− Et moi une main à la place des oreilles. Elle est à qui, cette main ?

− Attention, rafale de vent !

− Oh, zut ! C’est toujours pareil. On récupère presque toutes les parties de son corps, et vlan ! Un coup de vent vient tout remélanger !

− Et moi je ne voulais pas être incinéré. Ils ont prétendu que je m’appelais… je ne sais plus comment, m’ont réduit en cendres, et hop ! Ni  vu ni connu, le meurtre avec usurpation d’identité !

− Non ! Tu as été assassiné ?

− Bah tiens !

− Eh bien moi je dis qu’on ne doit pas se laisser faire ! Marre, des coups de vent incessants ! Marre des vivants qui nous piétinent quand il viennent déposer un nouveau ou nous porter des fleurs ! Je suis pour la grève ! Qui l’est aussi ?

− La grève de quoi ? On est mort, je te rappelle !

− C’est quoi, là bas ?

− Les entiers ! Certains viennent nous narguer exprès, les chameaux ! Ils nous appellent les cendriers.

− Ils se croient malins, mais ils finissent aussi par tomber en ruines.

− Quand je pense que cette Nuit est celle qui mène d’Hallowe’en à la Toussaint…

− Oui, toutes les goinfreries dont ils doivent s’empiffrer, les vivants….

− Eh, le nouveau, ne t’en fais pas, tu vas t’y faire… Tiens, ta jambe… Je sais, le bizutage est interdit, mais je n’ai pas pu m’en empêcher…

− Dis, c’est qui, cette belle vivante, qui vient toutes les semaines depuis quelques temps ?

− Je ne sais pas, personne ne la connaît…

− C’est une gothique morbide, elle vient là pour s’amuser…

− Ou en reconnaissance…

− Tiens, le jour commence à se lever…

− Ça tombe bien, je tombe de fatigue !

− On dort où ?

− Tiens, ça aussi, il faut le porter sur la liste des revendications : un abri décent pour se reposer la journée !

− Allez, bonne journée et à la nuit prochaine ! »

1 commentaire (+ vous participez ?)

  1. Kat
    Nov 01, 2008 @ 17:59:52

    Excellents !! Et à point nommer en ce jour des morts ! J\’espère que tout va bien pour toi. bises

    Réponse

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